Heimweh

Création en cours d’écriture

Depuis presque deux ans, des brésiliennes et des brésiliens portant le même nom de famille que moi, me contactent via les réseaux sociaux pour nouer un lien avec un pays qu’ils ne connaissent qu’à travers des images et des textes, un pays qu’ils désirent connaître parce qu’il fait partie de leur histoire familiale : La Suisse

C’est aussi mon pays d’origine.
Le même nom de famille.
Le même pays.
Un pays que j’ai quitté il y a presque vingt ans.
Un pays que j’ai connu, auquel je vais parfois rendre une visite de courtoisie.
Un pays qui – croyais-je jusqu’à cet été – ne me manquait pas.

C’est durant le premier confinement que je me suis souvenue de cette histoire : celle de familles suisses que la famine a poussées à prendre un bateau pour le Brésil et à s’installer là, au pied d’une montagne, pour construire une ville : Nova Friburgo, la Nouvelle Fribourg, comme un hommage à l’ancienne qu’ils n’ont pas pu emmener avec eux.

J’y vois, dans la construction de cette Nouvelle Fribourg, au pied d’une montagne brésilienne, quelque chose comme le symbole du Heimweh – qu’on peut traduire par « mal du pays », « nostalgie » ou même « hemvé », comme l’a fait Diderot.

Ce Heimweh semble être un mal typiquement suisse. Il a en tout cas été diagnostiqué pour la première fois en 1688 à Bâle, pour nommer l’étrange maladie qui frappait des mercenaires suisses dans des armées étrangères. Le Heimweh est une maladie du souvenir brûlant et douloureux, pour lequel le seul remède consistait en un retour au pays ; quelques jours, quelques semaines, le temps de saluer les montagnes, respirer de l’air des hauteurs et écouter le fameux Ranz-des-vaches.

C’est ce mal, le Heimweh, qui n’est ni tout à fait une émotion, ni tout à fait une maladie, que je désire explorer dans ce docu-fiction feuilletonnant. C’est ce dépaysement nostalgique, qui guidera mes recherches et mon écriture.

Si le Heimweh a d’abord été considéré comme un mal typiquement suisse, les helvètes n’en ont pourtant pas le monopole. Il peut toucher toutes et tous les émigré.es, voyageur.ses au long court, expatrié.es volontaires ou subi.es, de toutes les classes d’âge et de toutes les classes sociales.

J’interrogerai donc ce « mal du pays », à travers des ateliers d’écriture sonore, à travers des rencontres, des groupes de paroles composés de personnes ayant quitté leur pays ou qui y sont retourné. Est-ce qu’ils ressentent une forme de mal du pays? De nostalgie? D’un dépaysement douloureux? Est-ce qu’ils cherchent à la combattre ou au contraire à s’y complaire? Qu’est-ce qui leur manque le plus? Est-ce qu’ils songent au retour? Est-ce possible ou inimaginable? Est-ce qu’on finit par ne plus penser à son pays, à ce qu’il représente? Peut-on se résigner à ne jamais y retourner?

A partir de ces entretiens, j’écrirai. Je tracerai une parallèle, entre ces suisses émigrés au Brésil et toutes ces hommes et ces femmes qui sont partis et qui souffrent – plus ou moins – d’être partis. Et je ferai entendre les voix de celles et ceux qui m’ont confié leur « Heimweh »

Je raconte d’où je suis. Une plus si jeune femme qui a quitté la Suisse durant son adolescence et qui pensait ne pas regretter ses montagnes, son air pur et les accents chantants de ses compatriotes. Une jeune femme suisse qui redécouvre, récemment et avec délectation la littérature de son pays. Une suissesse qui cherche une manière de renouer avec Jean-Jacques Rousseau, Jean-Luc Godard, Henri Dès, Nicolas Bouvier, Bernard Romanens, Heidi, Maurice Chappaz et Robert Walser.

Heimweh retrace le voyage des personnes qui émigrent ou qui rentrent chez elles. Heimweh est un voyage autour du monde, qui prend comme ligne de fuite la traversée de l’Océan atlantique qui a conduit mes ancêtres et ceux des brésiliennes et brésiliens qui ont (re)pris contact avec moi, à s’installer là, au pied d’une montagne, et à construire leur Nouvelle Fribourg.

Mélanie Péclat